Ce matin-là, à la Une des journaux : la Jamaïque a décriminalisé la marijuana, que les Jamaïcains appellent ganja. Sans la légaliser complètement, le pays ajuste sa loi à sa réalité sociale.
Résumons les changements :
- La possession simple (non destinée à la revente) de deux onces ou moins de cannabis (environ 56 grammes) ou encore jusqu’à cinq plants de cannabis vivants est toujours un délit passible d’amende, mais n’est plus considérée comme criminelle (passible d’arrestation).
- Seule exception à cette règle : les rastafaris, chez qui la possession et la consommation sont illimitées pour des raisons religieuses.
- Les changements à la loi ne s’appliquent qu’aux citoyens et résidents permanents jamaïcains : il est toujours interdit pour les touristes d’acheter, de consommer ou d’être en possession de ganja.
- Un système d’approvisionnement en cannabis à des fins médicales sera mis sur pied dans les mois à venir, afin de permettre aux paysans de vendre leur production à l’État. Cette source de revenu supplémentaire pour les communautés rurales réduira du même coup les dépenses de l’État en matière de soutien économique local.
À ce sujet, écoutez mon reportage sur Walter Campbell, paysan agriculteur et producteur de cannabis, réalisé quelques jours avant que la loi ne soit votée au parlement.
Une fois les micros éteints.
Walter Campbell, alias King, s’est montré beaucoup plus bavard lors d’une promenade dans son jardin :
Les plantations de cannabis servent de revenu d’appoint pour les agriculteurs. Nous en avons tous un peu dans notre « yard ». Mais nous devons vendre nos récoltes illégalement et à un prix dérisoire à des trafiquants, en plus de devoir nous cacher de la police et de l’armée qui viennent détruire les champs. Dans ma communauté, je donne cinq, parfois six emplois à des paysans. Je pourrais en donner bien plus si c’était légal!
Comme de fait, de retour à sa maison, une bonne quinzaine de jeunes adultes flânent, cigarette de cannabis au bec.
Mais revenons aux changements législatifs historiques du parlement de Kingston, qui s’avèrent particulièrement intéressants.
D’une part, ils inscrivent la Jamaïque dans une mouvance internationale d’assouplissement des règles face au cannabis. L’Uruguay, États-Unis et même le Canada, avec la marijuana médicale, en constituent des exemples probants. D’autre part, ils surviennent pour un éventail de raisons sociales, politiques et économiques. Par exemple, la grogne populaire face aux fouilles et aux arrestations arbitraires des policiers qui, sous prétexte de démasquer des trafiquants, ne découvrent le plus souvent que d’infimes quantités de cannabis. Ou encore, la violence créée par la confrontation entre le système organisé de trafic (des paysans aux commerçants) et les forces de l’ordre, dont la politique d’éradication agressive est également extrêmement coûteuse.
Il y a aussi les pressions extérieures : celles des traités internationaux sur la vente et le trafic de la drogue ratifiés par la Jamaïque et celle, constante, des États-Unis. Ceux-ci sont les principaux tenants de la ligne dure, celle de l’éradication, et financent la Jamaïque dans la lutte au trafic international de la drogue. Selon le ministre jamaïcain de la Sécurité publique, cette lutte ne devrait pas diminuer, mais plutôt être mieux ciblée.
Enfin, il y a là, pour le gouvernement, la possibilité de faire d’une pierre deux coups : augmenter ses revenus tout en diminuant ses dépenses…et marquer beaucoup, beaucoup de points électoraux.
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Posted by nic735
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